Pour public averti
UNE PETITE ÉVASION
La lessive et l'adoucissant
exhalent leur odeur dans la buanderie. La radio diffuse un programme
de chansons françaises, des vieilles rengaines. Je dois être fort.
Je dois en finir, m'évader d'ici. La musique a couvert le bruit de
la porte du garage, puis celui de mes pas. Je me tiens à présent
derrière ma Geôlière, à quelques mètres.
Je sens la sueur sur la
pulpe de mes doigts et sur la paume de ma main. Mes muscles se
crispent sur le manche de l'arme. Une massette. Bien sûr, un marteau
de charpentier ferait mieux l'affaire, mais je ne suis pas bricoleur.
J'ai ramassé ce que j'ai trouvé.
Accroupie au-dessus d'une
bassine pleine de linge, ma Geôlière s'active. Son chignon
maintient sa chevelure pour ne pas gêner ses mouvements. Il va
m'offrir une prise intéressante. Une fois que je l'aurai serré de
la main gauche, je n'aurai qu'à lui plaquer le visage contre le
linge mouillé, à viser le sommet du crâne et à frapper. Rien de
compliqué. Seulement voilà, j'ai une trouille bleue.
Elle sort les derniers
vêtements de la machine. Elle va bientôt se redresser pour traîner
la bassine sur un mètre cinquante jusqu'au séchoir. Chaque seconde
qui passe, mes mains sont plus moites. Je dois agir tout de suite,
avant de commencer à douter, je dois me focaliser sur elle et sur sa
vilenie, sur la vie de taulard que je mène entre ces murs. J'avale
ma salive. Je lève la massette. Ne réfléchis pas. Cogne !
J'empoigne ses cheveux, je
plonge sa tête dans la bassine. Tandis que d'un œil je fixe le
chignon, ma main droite s'abat, son crâne se brise dans un bruit
sourd. Je frappe et frappe encore. Le sang macule la chevelure
blonde, son odeur ferreuse se diffuse, mais aucun cri ne s'échappe
de sa gorge. Est-ce l'effet de surprise ? Est-ce qu'elle
s'attendait à quelque chose ? C'est vrai que d'habitude, elle
devine tout, absolument tout. Pour lui dissimuler mes projets, j'ai
dû faire de gros efforts.
Sous mes yeux, les os
éclatés, le sang et la cervelle répandus... Moi, c'est son fiel
que je vois s'écouler.
Libre, enfin !
Quelques minutes plus tard.
À la radio, un air
d'outre-mer m'invite à taper sur des bambous. Je me relève et je
regarde autour de moi. Le hublot de la machine, le fil à linge et
les draps pliés : on est samedi, jour de lessive. D'habitude
elle reste seule à la maison, mais aujourd'hui j'ai posé un congé.
Ça n'est pas un week-end comme les autres. Ce soir, je pars en
vacances. Alors avant de se faire la belle, il faut se mettre au
boulot.
J'ai un plan et je vais le suivre.
Commençons.
(…)
Retrouvez les cinq nouvelles primées dans le recueil 2016 des Ancres noires :
Site Les Ancres Noires
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